Les trois Îles Noires
L’île Noire est le seul album de l’histoire de la bande dessinée a avoir connu 3 versions.
La première fut éditée en 1938, lorsque les aventures d’Hergé paraissaient encore en noir et blanc.
L’Étoile Mystérieuse fut le premier Tintin paru en couleur en 1942.
À cette époque, Hergé décida de moderniser ses huit premiers albums. Cette refonte impliquait une mise en couleur le passage de 128 à 62 pages.
L’île Noire fera parti du lot.
En 1943, l’album connu une première parution couleur, très proche de l’original.
Au cours des années 60, il fut question de publier l’album en Angleterre.
L’éditeur remarqua que de nombreux détails concernant la retranscription du pays manquaient de crédibilité.
En effet, l’Île Noire avait été réalisé à une période ou Hergé était moins soucieux de l’exactitude de sa documentation. Celui ci enverra son collaborateur Bob de Moor réaliser de nombreux croquis de repérage sur place. L’album sera donc entièrement redessiné en 1965.
Cette refonte tardive explique donc la modernité inattendue du dessin par rapport aux autres albums de cette période.
Quoi penser du livre ?
L’Île Noire est l’histoire d’une course poursuite haletante au cours de laquelle les avions se crashent beaucoup.
Fidèle à ses habitudes, Hergé s’est inspiré de faits d’actualité afin de créer cette histoire de fausse monnaie destinée à déstabiliser les démocraties d’Europe d’avant guerre. Le vieux château lui a probablement été inspiré par celui de l’île d’Yeu.
Les personnages semblent en perpétuelle action. Tintin se retrouvera même deux fois d’affilée à l’hôpital. Fidèle à lui même, il s’échappera à peine entré pour recommencer à courir.
Sur un plan visuel, la précision épurée des décors associée à une mise en couleur judicieuse confirme le sens aigu des ambiances qu’Hergé et ses collaborateurs savaient distiller. La scène des avions dans le brouillard, minimaliste à souhait, est d’une prodigieuse efficacité. Bien évidemment, ces décors revisités ne manquèrent pas de déplaire à quelques grincheux nostalgique du Tintin des années 30.
Album du mouvement, celui ci est rendu de façon magistrale. On remarquera à quel point chaque trait bien à sa place, contribue à cet équilibre délicat qu’impose l’impératif de lisibilité.
Enfin, ce nouveau format de 62 planches conçu sans construction préalable, permettait d’étendre la mise en place des gags.
Par exemple la scène des pompiers qui cherchent la clé du local dure quasiment deux pages.
Pour conclure, cette version actualisée de l’Île Noire crée une curieuse alchimie entre le dessin plus abouti des derniers albums et une intrigue dont le mécanisme évoque les oeuvres plus anciennes.
Pour l’anecdote, page 55 Tintin se retrouve devant un poste de télévision.
Lors de la conception de l’album en 1937, cette innovation n’en était qu’à ses balbutiements. Beaucoup de lecteurs imaginèrent qu’Hergé avait inventé ce procédé. Curieusement, l’édition de 1943 montrait une image couleur (qui n’existait pas encore), tandis que celle de 1965 mettait en scène un poste en noir et blanc.
Pour les amateurs, Casterman a publié en 2005 un « DOSSIER TINTIN » de grand format rassemblant côte à côte les trois versions de l’album.
L’île Noire – Tintin ©Hergé Editions Casterman