Paris, Italie, porte de Choisy
31 décembre 2012
L’après midi est grise, seule couleur à ma disposition ce jour là.
Le métro me jette un peu au hasard sur la Place d’Italie, devant le centre commercial dont le célèbre Cinéma Gaumont Grand Écran connu en 2006 un destin aussi misérable qu’inattendu.
En parcourant les premiers mètres de l’avenue d’Italie, je ne peux m’empêcher de repenser à cet absurde idée de Le Corbusier, consistant à créer le long de cet axe une autoroute bordée de tours, laquelle après avoir filé sous la place, devait ressortir au nord dans le coin de la Porte d’Aubervilliers. Angoisse totale.
De ce projet ubuesque ne reste au nord de l’avenue, que quelques manhattaneries achevées dans les années 70. L’accès surélevé à ces tours témoigne de la prévision d’un passage piéton jamais construit.
Autre folie: le fameux projet « Apogée » dont les 220 mètres d’arrogance devaient se dresser en bordure de la place, jusqu’à ce que Giscard fasse annuler le permis de construire en 1975. Merci à lui !
Point de tour donc, mais un centre commercial ultramoderne à l’échelle de l’humain de demain.
Descendre l’avenue d’Italie reste encore une expérience à part. Il y règne une ambiance propriétaire que je reconnaîtrais entre mille. Connaissant mal le 13e, je ne puis en livrer qu’une vision subjective. Mon approche du quartier se limitait alors à une pile de vieilles cartes postales, quelques souvenirs étudiants et un fameux polar. À mesure de mon parcours, je me laisse gagner par l’atmosphère de l’endroit.
Le 13e fut longtemps le refuge d’une population ouvrière dont les lieux d’habitation côtoyaient les nombreuses usines établies sur son sol. Le modernisme désuet des tours ne semble pas avoir occulté cet esprit de village.
Je repense à Léo Malet, auteur du célèbre détective Nestor Burma. En 1978, celui ci déclarait ne plus vouloir revenir dans ce nouveau 13e, proie des promoteurs, car il s’y sentait « encore plus malheureux que quand il y traînait la savate ». Étrange rapport qu’il entretenait à cet arrondissement témoin de son passé anarchiste, qu’il affirmait ne guère aimer. En 1956, ce vieux compte à régler lui fournit la matière à « Brouillard au Pont de Tolbiac », son plus célèbre roman. Amusante ironie, quand on sait que l’imaginaire collectif érigea Malet en mémoire vivante et défenseur d’un 13e disparu, chose dont il se défendait mollement. Paradoxe de l’artiste, cette vieille rancune ne l’empêcha guère de signer quelques tribunes assassines à l’égard des architectes responsables de la bétonisation des lieux. En guise de réponse, ceux ci qualifiaient volontiers l’auteur « d’homme du moyen âge », tout en vivant dans des hôtels particuliers à Passy.
En ce qui me concerne, j’aime Malet au point de vouloir me mettre à fumer la pipe ! (à tête de taureau cela va de soi).
En direction de la « barrière », que j’évoque en mémoire de l’ancien octroi qui ponctuait l’avenue, quelques ruelles perpendiculaires témoignent de cette fragile architecture originelle, balayée sous le béton et le verre. Béton et verre empilés en une tour ronde au carrefour de Maison Blanche sur les ruines de l’ancienne gare de ceinture. Béton et verre de cet immeuble un peu en retrait baptisé Périscope pour une raison qui m’échappe encore.
En moins de temps qu’il ne fallut pour l’écrire, j’atteins la limite qui sépare Paris du reste du monde. Porte d’Italie, je choisis de bifurquer à gauche.
La distance qui me sépare de la porte de Choisy est très courte. Si courte que l’on pourrait presque s’interroger sur son utilité. L’avenue de Choisy séparait autrefois les communes de Gentilly et de Vitry. Le XIXe siècle avait hérité ses frontières du précédent et pouvait s’offrir le luxe de quelques originalités avant que le rectiligne n’envahisse tout.
Parlons en sans sombrer dans la réaction.
Jusqu’aux années 70, le quartier avait besoin d’un sérieux coup de neuf. Vers 1973, la Porte de Choisy fit l’objet d’un vaste programme immobilier destiné à la génération du Baby Boom désormais intégrée dans la vie professionnelle. Boudé par la cible, l’ensemble à peine livré n’eut aucun succès.
À la même période, la vague d’immigration asiatique trouva à sa disposition des logements neufs et à bas prix. C’est ainsi que naquit le fameux quartier chinois circonscrit entre les avenues d’Ivry et de Choisy.
L’entrée depuis la « barrière » en direction de la Place d’Italie se résume à une montagne de cubes. L’accumulation des tours donne le sentiment de quitter Paris pour un ailleurs titanesque et replié sur lui même. La frontière d’autre chose. Contre toute attente, la double rangée d’arbres qui bordaient autrefois les bords de l’avenue sont toujours là. Leur présence par jour de beau temps rend acceptable ce que l’hiver supporte mal. Ici et là, les néons des enseignes réchauffent le gris soviétique des façades. Le doute n’est plus permis, Jean Baptiste Leonetti, le réalisateur de Carré Blanc (2011) a puisé son inspiration ici. À ma droite, mon regard est attiré par une rangée de fenêtres dont les rideaux juxtaposés composent une fresque bariolée. Je m’amuse en réinventant le célèbre slogan,« United Colors of… », dont j’abandonne volontiers le choix de la terminaison.
Mort dans la forme, mais vivant dans le fond, l’endroit paraît moins oppressant que son image d’Épinal et je parviens à lui trouver un certain charme.
En remontant vers le nord, l’église Saint-Hyppolite, épargnée par les bétonnières fait acte de résistance. Cette paroisse increvable fut construite entre 1909 et 1924 suite à la démolition de sa première version située entre les Boulevards Arago et Port Royal. Le clocher qui dominait autrefois le quartier semble aujourd’hui plus modeste. Ce témoin immobile permet au passé de s’accrocher encore un peu.
À l’angle de la rue de la Vistule une plaque posée devant un morne lycée, nous rappelle que de cet endroit, partaient les voitures du chocolatier Lombart. Hélas, les murs ternes de d’une architecture sans âme faussent le goût de ce retour indirect à l’enfance.
Je remonte cette avenue désormais sans histoire jusqu’à mon point de départ, bouclant en quelques foulées ce triangle que j’aurais souhaité plus magique.
Je quitte les lieux avec une pointe de regret. Avant de m’engager dans l’escalier du métro à l’angle de la rue Bobillot, j’offre à mon iphone une note qui m’amuse encore: « La prochaine fois, pousser jusqu’à la Porte d’Ivry ».
Nicolas Bonnell